L’idée n’est pas ici de disséquer ce rapport. C’est toujours facile de se prononcer un an après qu’il ait été publié alors que tout un chacun a pu constater l’échec ou la portée toute relative des diverses mesures préconisées et mises en place à ce jour. Non, le sujet n’est pas là. La vraie question pour moi est ailleurs.
LE DISQUE, LE DISQUE, LE DISQUE…
Cet article est surtout né de la constatation d’un décalage paradoxal dans le même pays au même moment et sur le même sujet entre la timidité d’un rapport remis au chef de l’Etat et l’incroyable bouillonnement d’idées et la forte volonté d’innovation dans l’air au
MIDEM.
Comment expliquer que nous hébergions LA conférence annuelle de référence pour toute l’industrie musicale à l’échelle mondiale mais que nous ne soyons pas capables d’y intéresser les acteurs au plus haut niveau de l’Etat?
Il aurait suffi de deux ou trois rapporteurs au
MIDEM pour résumer et rendre compte de toutes ses incroyables conférences, de la diversité des facettes de l’industrie abordées, de l’audace et de l’ambition des pistes explorées pour « l’avenir de l’industrie musicale » pour permettre au Président de la République, si désireux de comprendre notre industrie et comment la faire avancer la tête haute, d’aborder la « crise » autrement que par le seul prisme du disque.
Car le rapport Zelnik a été conduit sous l’égide de quelqu’un qui vient du disque, conditionnant profondément la démarche qui ne visait plus qu’à sauver l’industrie du disque, consciemment ou non. Et encore : pas toutes ses composantes, au vu de tous les labels indépendants, les petites structures et artistes auto-produits etc.., qui sont les premiers touchés par cette crise et qui ne se reconnaissent pas dans ce rapport (comme en atteste
le manifeste commun de la FEPPIA et CD1D "La Création Sacrifiée" à ce sujet).
L’industrie musicale ne se résume pas aux seuls labels et il y a d’autres acteurs essentiels à inviter à plancher sur l’avenir: les artistes, tout d’abord, à qui l'on ne donne tristement jamais voix au chapitre (et pas juste ceux qui vivent de leur musique parce qu’ils occupent le paysage depuis 10, 20 ou 30 ans), les tourneurs, les éditeurs, les managers, les marques, les médias et un panel de consommateurs de musique, citoyens dont les besoins de musique et usages de consommation évoluent au quotidien.
« Rien ne se perd, rien ne se créé, tout se transforme ». Lavoisier avait raison. C’est un peu la même chose pour la musique. La « consommation » de musique est en hausse constante depuis 2000 mais les ventes à l’unité s’effondrent. Les usages et les besoins se transforment. La valeur de la musique est à redéfinir. Le monde change, les acteurs aussi.
Beaucoup de personnes se sont contentées d’avoir un discours de justiciers en disant que les labels n’avaient que ce qu’ils méritaient parce qu’ils avaient fait leur beurre sur le dos des fans pendant des années avant. C’est un peu facile et ça ne répond pas vraiment à la question.
On peut déplorer au final l'occasion manquée d'une profonde introspection sur les véritables raisons de cet échec plutôt que de perdre plus de temps à identifier les coupables. Les acteurs centraux de l’industrie ces dernières décennies, dont l’arrogance et le déni de réalité les a amenés à renoncer à jouer un rôle central dans la façon de penser l’avenir, sont aujourd'hui presque plus à plaindre qu’autre chose.
L'EXCEPTION CULTURELLE ?
Mais au-delà même des nombreux arguments d’ordre juridiques, économiques, politiques etc…. le fond du « problème » tient peut-être aussi à quelque chose de spécifiquement français : la fondamentale ambivalence de notre rapport à l’Etat.
Quel que soit le gouvernement, nous sommes les premiers à défier l’Etat et son autorité, railler sa lenteur, son inefficacité, ses complications administratives et nous mobiliser pour préserver nos acquis. Mais lorsque nous nous retrouvons dans une impasse, une situation inconnue, notre premier réflexe est de nous (re)tourner vers l’Etat et le considérer comme le seul apte à nous sauver. Etrange paradoxe.
Face à l’inconnu, le réflexe systématique consiste à taxer les centres de profit et redistribuer la récolte sous forme de subventions. Et qu’ont été
deux des mesures phares du rapport Zelnik ? Une taxe sur la publicité en ligne (centre de profits…) et la Carte Musique Jeunes (subvention à l’achat…).
Pourquoi toujours attendre de l'Etat qu’il légifère, qu’il régule, qu’il nous trouve la solution ? N’avons-nous pas confiance en notre capacité à nous débrouiller tous seuls ? A chercher et puiser en nous les solutions à nos problématiques ?
Peut-être qu’un jour il nous faudra nous voir et nous accepter tels que nous sommes : nous avons peur du changement, nous nous méfions de l’innovation et nous considérons suspecte tout avancée en dehors du cadre de l’Etat. Providentiel, forcément. Nous sommes encore terriblement scolaires. Nous en sommes encore à nous plaindre dès qu’un obstacle surgit parce que nous n’avons pas assez confiance en notre capacité à aller de l’avant et que nous ne sommes pas encore assurés d’avoir la meilleur place à la table du futur.
Mais pourquoi ce manque de confiance ? Pourquoi toujours glorifier les autres parce qu’ils ont fait ce que nous n’osons pas faire nous-mêmes ? Nous avons toutes les cartes en main pour avancer, se faire une place, frayer notre propre chemin mais la confiance en notre capacité à le faire nous fait défaut.
Et si la crise de l’industrie était en fait une crise d’adolescence ? Transitoire, nécessaire, une mue inévitable. D’un côté, l’Etat, un parent désemparé et en décalage avec la nouvelle génération parce qu’il prend encore sa jeunesse pour repère. De l’autre, de jeunes adultes encore en devenir, désireux d’imposer leur marque et galvanisés par la découverte récente de leur propres aspirations, mais frustrés de ne pas savoir encore exactement comment les formuler ni les réaliser. Mais avec un regard vers l’enfance providence qui avait du bon… L’Etat serait comme un parent qu’on ne choisit pas, dont on a un peu honte à l’adolescence mais en creux duquel on se construit et sans lequel nous sommes perdus.
Le
MIDEM est dans une semaine. La France est à l’honneur cette année. Les huit artistes présentés sont de qualité mais tous chantent en anglais. Pendant ce temps là, l’Etat, l'industrie musicale et les fans de musique se regardent encore en chiens de faïence. J’espère seulement que nous dépasserons cela un jour. Bientôt.